Une lecture qui éclaire : Les centristes de Mirabeau à François Bayrou de J P Rioux.

Laura TARED, enseignante, correspondante des élus de Moselle auprès des instances nationales nous invite à découvrir l'excellent ouvrage de Jean-Pierre RIOUX avec des comentaires éclairés...

 

"   Jean Pierre Rioux, dans son ouvrage "Les Centristes: de Mirabeau à Bayrou", Fayard, Paris, 2011, revisite l’histoire des centristes  comme moyen de faire avancer la démocratie et donner à la vie politique une force d’attraction et de rassemblement. C’est une vision nouvelle qui est proposée par les centristes, vision qui préfère « le contrat au fracas », le pluriel au duel, le rassemblement à l’exclusion les valeurs aux idéologies. La question centrale était et reste la suivante : Les centristes sont-ils une force d’appoint ou une force constitutive ?

La question est posée depuis l’aventure des feuillants pendant la Révolution française. Dans cet admirable livre de JP Rioux sont déclinées toutes les composantes de la famille démocrate : le MRP, le Centre Démocrate, le Centre des Démocrates Sociaux, l’UDF jusqu’au MODEM. Pour résumer ce livre, Jean Pierre Rioux a découpé l'histoire centriste en âge libéralavec la recherche d'émancipation et de cohésion lancée par Condorcet , l'âge gouvernemental enfin sous la III et IV ème République ravagées par les crises et les guerres, mais où le centrisme a su insuffler le non conformisme et la résistance après 1918 et 1944 en appuyant sur les valeurs du christianisme social.

Sous la Vème République, le régime bipolaire, (l'âge présidentiel), a laminé le centre pour en faire, au mieux, une force d'appoint.

 

 La période révolutionnaire déjà

Au couvent des feuillants Lameth et Barnave invitaient à retrouver les sens des libertés, à reconsidérer la nature du pacte entre le peuple et le pouvoir politique quand grondait déjà la lutte entre droite et gauche, entre montagnards et girondins, entre les révolutionnaires tentés par le chaos et les conservateurs avant l‘heure.

Puis arrive Bonaparte. Il n’était pas à proprement parler un centriste mais il installe une sorte de monarchie républicaine ou coexistent deux chambres. Par les masses de granit (ensemble des réformes qui ont marqué la France) il fera que les Français jouiront des bienfaits civils d’un pouvoir militaire. Il clôt le roman de la Révolution réunissant les français sur ce qui avait provoqué le séisme de la Révolution. Peut être cette dernière avait-elle atteint ses objectifs alliant aussi la raison, la règle et le consentement. Condorcet avait lui mis le doigt sur un autre problème crucial Pas de liberté, pas d’égalité, pas de fraternité sans instruction. La monarchie centriste de Louis XVIII « L ‘établissement du couple passe par un ménage à trois »

 

Une charte va réconcilier monarchistes et Républicains entre 1814 et 1830.

D’après le mot de Marcel Gauchet « il a droite et gauche parce qu’il  y a un centre. ». En 1830 certes le centre penche à droite, il est formé des Orléanistes comme François Guizot (1787-1874). J’attire l’attention sur cet appel qui résume les valeurs du centre aujourd’hui  Eclairez -vous enrichissez -vous améliorez la condition morale et matérielle de notre Pays. Voilà les vraies innovations ». N'est-ce pas le produire et instruire de François Bayrou ? En 1830, Louis Philippe prône ce juste milieu fait de conciliation et de réconciliation.  En 1848 le duc de Broglie, ancien ministre de Louis Philippe est battu,  les centristes le sont avec lui.

 

La troisième République

C’est elle qui a su mettre la balle au centre sans parti pris ni pour la droite ni pour la gauche.

En effet le régime parlementaire qui laisse de plus en plus aux partis leur liberté de choix va mettre à mal le système binaire. Les groupes parlementaires sont de moins en moins inféodés aux partis politiques. Le processus d’identification droite gauche s'amenuise. C’est la République des députés.

Et nous voilà devant une idée de F. Bayrou exposée à l’université d’été à Giens. Elle semble provenir directement de ces mots du Maurice Duverger en 1951 dans les partis politiques : « au lieu de réunir la gauche et l’extrême gauche dans un groupe et la droite libérale et la droite ultra dans la droite ; on isole la gauche réformiste de la gauche révolutionnaire, la droite modérée de la droite ultra, on rapproche les deux premières dans une conjonction des centres et on obtient non pas une offre politique résiduelle mais force centrale et rassembleuse. ». Jules Ferry, à son tour veut valoriser « ce Tiers-Etat qui est notre vraie moelle pour éviter à la fois la servitude politique et la surenchère de gauche. ».

    Pour revenir à la troisième République proclamée le 4 septembre, 40% des sièges sont revenus aux centristes avec Jules Grévy aux élections de 1871. De 1873 à 1876, c’est l'ordre moral d'Adolphe Thiers protestant et libéral. Les centristes se cherchent encore. Le 30 janvier 1875 avec l’amendement Wallon, le centre semble trouver sa voix et sa place. Henri Wallon, lui aussi de centre droit, s’allie avec l’Union Républicaine de Gambetta et de Waldeck Rousseau, la Gauche Républicaine de Jules Ferry, Jules Grévy et Agénor Bardoux, le grand-père de Valery Giscard d’Estaing. On aboutit à un consensus qui va rendre possible le renforcement de la République avec l’établissement du 14 juillet, l’hymne national, l’élection des maires et la fonction institutionnalisée du Sénat. Le sénat avait été crée en contre partie de l‘éviction d’Adolphe Thiers. En octobre 1901 les centristes créent leur propre parti. L’ARD(Alliance Républicaine Démocratique) : « Ni réaction, ni révolution ». En 1920 l’Alliance dispose de 120 députés.

 

Schumann (1886-1963) ou la famille centriste recomposée :
« L ‘Homme, objet de nos efforts et de nos exigences »

La période gaulliste ne fut pas un temps béni pour les centristes. Des figures pourtant apparaissent qui vont marquer le courant et l‘histoire du centrisme.

Germaine Poinso Chapuis avocate féministe humaniste influencée par le père Serillanges et les Soroptimistes anglo saxonnes, amie de Gaston Deferre

Sous le gaullisme, les centristes sont dépossédés parce qu’on leur a raflé l’idée du refus droite gauche lui préférant la verticalité gens de haut et gens de bas. Le régime et son évolution ne conviennent pas aux centristes, celui du principat ou de la monarchie républicaine. D'autre part, pour les centristes, la constitution de 1958 est le fruit du 13 mai1958.

  Au début de la cinquième République les centristes s’effacent et ne sont plus qu’aux élections locales et à l’assemblée. C’est une nébuleuse d’indépendants, de Républicains. Avec V. Giscard d’Estaing en 1962, les centristes sont encore écartés. Malgré la personnalisation du pouvoir, le candidat Lecanuet a fait près de 16 % des voix. Il y a poutant une attente vis à vis d’une troisième voie. Lecanuet a mis même de Gaulle en ballottage contre François Mitterrand. Le centrisme se donnait pour une fois un visage dans l’élection présidentielle. Le mot d’ordre était : « pour une démocratie moderne et efficace, une société juste et prospère, une Europe Unie et indépendante. ». Et déjà la préférence du centriste allait à Mitterrand. Les électeurs, eux, ont choisi de Gaulle.

En 1966 Lecanuet anime un Centre démocrate qui fédère les démocrates chrétiens du MRP, les conservateurs du CNIP et des socialistes. En 1967, ce centre échoue aux élections et éclate au lendemain des élections. Des centristes comme René Pleven, Joseph Fontanet, Jacques Duhamel sortent du centre démocrate, rejoignent Pompidou et entrent dans le gouvernement J-J. Chaban-Delmas sous l’appellation Centre Démocratie et Progrès. Le centre démocrate est lui resté dans l’opposition et se rapproche des radicaux Valoisiens de J-J. Servan-Schreber dans le mouvement réformateur. Nouvelle tentative ; nouvel échec, nouvelle impasse accentuée par la création du Parti socialiste en 1972. Le centre démocrate subit alors toute sorte de sobriquet. Georges Pompidou en 1967 : « Le centre est un ballon de rugby ; on ne sait jamais de quel côté il va rebondir »

La position du centre est raillée par ceux qui sont aux pouvoir ou le convoitent. Je ne préciserai pas « comme aujourd’hui ». En 1962 J.J  S-S est élu président du parti radical, ce qui élargit encore la grande fédération. Il prône l‘égalité sociale, l’édification de l‘Europe, le collège unique, la bataille pour la séparation des pouvoirs économiques, politiques et médiatiques.

   Les centristes poursuivent leur croisade pour faire triompher ces valeurs. Alain Poher candidat face à Pompidou portera ces valeurs sur la réconciliation des Français. « Nous n’avons pas le droit de casser la France en deux blocs hostiles. ». L’histoire a retenu sa  présidence de la République par intérim et oublie la modernité du centriste Poher. Ecologiste avant l‘heure, militant contre l’antisémitisme, étudiant d’Emmanuel Mounier. « La personne est l’absolu de valeur » disait-il. Il fut aussi directeur de cabinet de Robert Schumann. Il a été président du Sénat, a lutté contre les pressions sur l’ORTF, sur les juges et les complicités en Afrique. Les thèmes du centrisme sont aujourd'hui les mêmes.

 

La période giscardienne
Les centristes se rallient à Giscard pour enrailler les progrès de la bipolarisation. Mais le risque était de lier le destin du centre à celui de Giscard et de laisser penser que le centrisme est de droite dans une République à vocation bipolaire comme la cinquième République.
Les centristes ont surtout été séduits par les thèmes défendus par "Perspectives et réalités", revue dirigée par les giscardiens, un club de réflexion où se côtoient  des radicaux, des  centristes, des socialistes Comment ne le seraient-ils pas  quand il s’agit de pouvoirs du parlement, de distinction de la majorité présidentielle et de la majorité parlementaire, c’est à dire du pluralisme. La démocratie avancée (titre d’un livre de VGE) . On plaide pour une société libérale par la structure pluraliste de tous ses pouvoirs avancée par un haut degré  de performance et d’unification sociale. En 1978 l’UDF est crée. Devenue très vite un cartel, elle fabrique des élus sur la base de programmes bientôt assez éloignés des valeurs du centre. VGE remise les espoirs de 1974 et la nébuleuse des démocrates sociaux du CDS. Aux
 élections européennes de 1979 l’UDF marque une victoire importante. La liste est menée par Simone Veil : 27% des voix contre 16% pour Jacques Chirac. En 1981 seul subsiste le CDS qui évolue sous la houlette giscardienne. Le choix fait n’était pas celui de l ‘autonomie. Le prix payé fut lourd avec l’arrivée de la gauche au pouvoir.

 

 Les deux septennats de François Mitterrand. Ils sont surtout marqués par la cohabitation et l'alternance, la montée du front National, le divorce entre les citoyens et leurs élus matérialisé par les taux d’abstentions record en 2002. Les deux premiers tropismes ont conduit certains historiens à parler de République du centre devant le replâtrage systématique des majorités. Cette gestion consensuelle n'est pas exactement ce dont rêvaient les centristes car les français restent avec leurs interrogations et leur inquiétude. En 1996, 62% des français jugent les distinctions droite gauche dépassées. Cela a  semé le trouble dans l’opinion sur la nature et la réalité d’un centrisme historique.

 

La confusion s'est surtout installée après 1983 avec le retour à la rigueur décidé par la Gauche, le PS s'étant reconverti à la politique gestionnaire et à la culture de gouvernement. En 1986, les élections ont donné une majorité parlementaire à la vieille coalition du RPR et de l'UDF. Le leader du RPR, Jacques Chirac, est devenu 1er ministre. Les élections donnent à la droite 271 sièges , 130 pour l'UDF et 128 pour le RPR. C'est la première fois que l'UDF devance le RPR en sièges. On a associé des personnalités comme Brice Lalonde, Bernard Kouchner, et 5 UDF dont Michel Durafour, Lionel Storellu ou Jean Marie Rausch de l'UDF, la  CDS Simone Veil.

Cela a laissé croire que le centrisme était toujours de droite.

En septembre 2000, la durée du mandat présidentiel est réduite à 5 ans, et il y a inversion du calendrier auquel s'est opposé François Bayrou : 28 députés pour, 30 contre, et 5 absentions le 24 avril 2001.

En clair, la cohabitation a répondu à des aspirations consensuelles,  à une volonté de gestion centriste.

L'UDF dépouillée

En 1994, Bayrou, patron du CDS, devient président de l'UDF. C'est l'époque des vaches maigres. Alain Madelin, Christine Boutin, quittent l'UDF, qui obtient, aux législatives suivantes 4,9% des voix.

En 1995, l' UDF soutient massivement Balladur, sauf Madelin et Millon, partis pour Jacques Chirac.

 

En 1998, cinq personnalités de l' UDF dont Millon, acceptent le soutien du Front National.

Ce qui sauve l'UDF à ce moment là, c'est son attachement à l'idée européenne qui lui donne une coloration singulière et forte. En 1999, Bayrou réaffirme l’identité centriste, atomisé par 25 ans de ralliement à la droite giscardienne et 20 ans de consentement à la confusion de la cohabitation.

En point d'orgue, aux élections législatives de 2002, Chirac a transformé l'union de la majorité présidentielle en UMP, qui va siphonné des deux tiers des électeurs et des élus centristes et les élus dont Jacques Barrot, Philippe Douste-Blazy, JC. Godin, G. Longuet et Pierre Méhaignerie.

    Pourtant, en 2007, Bayrou apparaît comme le troisième homme, il crée le MoDem après le dernier conseil national de l'UDF et s'allie Corine Lepage  de Cap21 et Jean Luc Benhammias. Contre le simplisme binaire et le duopole droite-gauche, près de 19 % des suffrages sont allés à François Bayrou. Les centristes se sont de nouveau divisés.

    En 2010, après avoir épuisé les charmes et les profits de leur allégeance à Sarkozy et à l'UMP, les centristes essaient une nouvelle fois de s'émanciper. C'est le faux départ de JL Borloo. Le reste, c'est ce que nous vivons actuellement, la terrible crise qui s'abat sur l'Europe, l'état des finances dont parlait F. Bayrou dès 2007 qui nécessite une recomposition et l'émergence d'une force centrale, qui seule peut nous sortir de l'impasse. La France vit un état d'urgence.

 

Conclusion : Le centrisme a toujours été au rendez-vous pour dénouer les situations de crise, relancer l'initiative politique et raviver la démocratie. Il a su aussi, parfois, redresser le moral bien qu'il n'ait jamais su ébranler les représentations dominantes du politique avec ce tropisme droite-gauche. Tout cela, il a pu le faire avec beaucoup d'aisance en 1815, 1830, 1875, 1918,1940 et 1944. Depuis 1958, et la démocratie en duo, aujourd’hui UMP / PS ont brisé l'échine du centrisme gestionnaire. Il reste néanmoins un levier du renouveau avec cette idée force de la primauté de la personne et de la solidarité sur l'individualisme.

 


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