Jean-Luc Mélanchon, symbole d’une radicalité suicidaire ?

Il y a quelques semaines encore symbole d’une radicalité minoritaire et sans autre intérêt qu’idéologique, Jean-Luc Mélanchon a su récemment se hisser dans les enquêtes d’opinion1 à des niveaux auxquels commence à se poser la question de la crédibilité2. Il faut dire que l’homme a des armes de séduction efficaces et massives qui, loin d’avoir peur des portes ouvertes, se permettent de les enfoncer avec une verve qui n’a certainement pas son pareil sur la scène politique actuelle. Si cette montée en puissance peut-être minorée3, on doit néanmoins s’accorder sur un fait indiscutable : il se passe actuellement quelque chose. Or l’homme est-il crédible ? Comment comprendre cette montée en puissance ? Son programme tient-il la route ? Quel est le fond philosophique de son approche et quelle est sa légitimité ? Voilà les questions auxquelles nous nous sommes confrontés, voilà les questions que nous souhaitons ici explorer au travers de cette taxinomie du programme du Front de Gauche. 

I. La séduction

Si l’on met de côté l’aspect purement formel du personnage et du programme, c’est-à-dire sa force de persuasion à tendance exponentielle qui rime avec une authenticité symbole de pureté dans l’opinion – à laquelle il faut associer la mise en page dénuée de toute fioriture du programme, afin que n’apparaisse que les idées, le fond – il faut reconnaître que l’homme et son équipe savent y faire. On aurait tort de croire que les clichés politiques les plus récurrents – dont chacun de nous a pu faire l’expérience dans ses premières heures politiques – sont des éléments perturbateurs du discours. Loin de constituer un handicap, et à condition qu’ils soient affirmés dans une esthétique qui ne laisse pas place au doute, ils sont de redoutables armes. Une lecture attentive du programme de Jean-Luc Mélanchon nous permettra de mettre en exergue au moins trois d’entre eux, suffisamment radicaux pour que, sortis de leur contexte, ils puissent être questionnés, ou au moins, soumis à l’épreuve du doute. À eux seuls ils indiquent trois cibles, trois directions à partir desquelles le programme s’organise : une situation, des ennemis et un objectif. Si l’on ajoute à cela une touche de nostalgie héritée de l’histoire, on a les quatre armes fondamentales d’un programme qui, loin de poser les questions, satisfait le lecteur au motif d’un sentiment que Jean-Jacques Rousseau – auteur de référence pour Jean-Luc Mélanchon si l’on en croit certaines de ses déclarations4 – a longuement détaillé : la pitié5.

1. Une situation

Pour le Front de Gauche, il existe un mot qui permet de décrire la situation. Ce mot, c’est

1 Sondage BVA 21-22 Mars.
2 Aux environs des 15% d’intention de vote.
3 Le sondage BVA du 21-22 Mars traduit certes une monté en puissance de Jean-Luc Mélanchon, mais ne traduit pas le croisement des courbes de François Hollande et Nicolas Sarkozy. De plus, les sondages quotidien de l’Ipsos, s’ils témoignent d’une effective montée en puissance, tempèrent cette dernière en la rendant plus progressive.
4 France 3 Corse, émission Cuntrastu du Dimanche 26 Février 2012.
5 Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’orgine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, GF 2008, p.95-98.

l’« impasse »6. L’impasse des petits qui se sentent opprimés, celle des faibles qui sont soumis aux forts, celle des dominés pour qui tout indique qu’on leur en veut et qu’il y a des hommes qui n’ont d’autre intérêt dans la vie que de les maintenir dans leur situation. C’est ainsi que l’ensemble des maux récents et moins récents de la société se voient énumérés comme autant de symboles de cette impasse : « la catastrophe écologique, l’explosion des inégalités, de la précarité et de la pauvreté, les violations répétées de la démocratie, le refus de rapports humains fondés sur la solidarité et la coopération »7 deviennent un fer de lance qui ne justifie rien d’autre que la révolte. Ainsi, face à l’oppression, il faut réagir, il faut lutter, il faut se battre.

2. Les ennemis

Ainsi que nécessaire, il faut donc identifier un ennemi : « Tous ces maux trouvent leur commune origine dans la caractéristique essentielle de notre époque : la domination sans partage du capital financier sur le monde»8. De fait, à l’égal de François Hollande, Jean-Luc Mélanchon se déclare adversaire du « monde de la finance », qui constitue à travers ses ramifications et ses moteurs idéologico-pratiques – les marchés financiers, le libéralisme, le capitalisme – l’ennemi dont il faut prendre conscience pour commencer à combattre. Évidemment, il est un pays qui illustre encore aujourd’hui, malgré une certaine baisse de leadership, l’ensemble des idéologies contre lesquelles il nous faut prendre position: «les États-Unis»9. Il existe également des représentants humains de ces positions : « Sarkozy, la droite et l’extrême droite » 10. Ces ennemis sont à ce point pernicieux et puissants que les réalisations politiques de ces dernières années deviennent des lobbys idéologiques : « La croyance dans la construction actuelle, libérale, de l’Union européenne, la volonté de réduire le « coût du travail », le démantèlement des services publics, le refus d’affronter les banques et les marchés financiers. Ces dogmes continuent d’être répétés par les partis et médias dominants » 11.

3. Un objectif

L’objectif est donc assez clair pour le Front de Gauche : la lutte, ou plus explicitement « la révolution citoyenne » 12 . Il va s’agir d’affronter la finance, d’assumer et de remporter cette confrontation, afin de « bouleverser radicalement la vie politique » 13. Or ce bouleversement n’est pas sans but, il vise à « retrouver rapidement un avenir » 14, c’est-à-dire dégager une vue obstruée par des idéologies qui semblent nous dominer depuis si longtemps que cela nous semble une éternité, comme si nous l’avions toujours connue : en un mot, il s’agit d’émanciper le peuple encore enfant afin qu’il

6 Humain d’abord, p.3. 7 Ibid.
8 Ibid.
9 Ibid.

10 Ibid., p.4. 11 Ibid., p.3. 12 Ibid.
13 Ibid.,p.4. 14 Ibid., p.3.

devienne adulte et découvre ce qu’est une démocratie adulte15. Une démocratie qui abolira «les privilèges de notre temps » 16. Mieux encore, le Front de Gauche entend clairement ne pas s’arrêter là ; la France n’est qu’un point de départ, puisqu’il s’agit d’en faire, une fois encore, un exemple : il s’agit de refonder notre pays pour demain « changer le monde » 17.

4. La nostalgie

Outre la dimension puérile de la formule, le fait de vouloir changer le monde n’est pas qu’un rêve d’enfant gâté. Déjà dans notre histoire la France a été le point de départ de révolutions en chaînes. Déjà, nous avons réussi à inspirer le monde par nos choix et nos avancées. C’est un peu comme si la France avait une destinée particulière : faire rêver les autres. C’est pourquoi le Front de Gauche ne manque la référence obligée à 1789, insistant sur une similarité des situations : le monde est dans une impasse que seule la révolution peut permettre de dépasser : « Tout comme la noblesse de 1789 ne pouvait rompre avec l’Ancien Régime, le capitalisme financier est incapable de sortir d’un système qui le gave de privilèges » 18. Reste qu’on peut douter, comme on le verra, de cette similarité. La France d’hier n’est peut-être plus la France d’aujourd’hui.

Si nous pouvons clairement admettre une part de vérité dans les phénomènes qui sont décrits, nous ne croyons pas pourtant à la généralisation que semble vouloir imposer le Front de Gauche. Loin de se préserver de la partialité, il la revendique même comme marque de fabrique en se disputant avec le Front National le vote ouvrier. Si les partis s’opposent en bien des points, on peut néanmoins remarquer que leurs ficelles sont identiques. Car que l’on parle du « mondialisme » ou du « grand capital », on en reste à définir deux positions de lutte : les possédants et les possédés, les dominants et les dominés. De là à penser que cette approche partiale de la situation est une approche de possédés, il n’y a qu’un pas. De là à penser que ces deux types de votes surfent sur les mêmes mécontentements, il n’y a qu’un pas également. Car si les revendications diffèrent, l’approche partiale et pathique de ces idéologies oriente clairement la réflexion dans les cadres que l’on vient de définir ci-dessus. Après tout, ne sont-ils pas deux partis politiques qui mettent au cœur de leur pensée la lutte, ainsi que leurs noms (Front de gauche et Front national) peuvent clairement le laisser penser ?

II. Les présupposés philosophiques du programme

Comme toute idéologie, le programme du Front de gauche fonde son discours sur un certain nombre de présupposés qui rendent son approche légitime. Ces présupposés, si on y adhère, peuvent

15 Ibid., p.4. 16 Ibid., p.3. 17 Ibid.
18 Ibid.

nous conduire à adopter la posture de combattant que revendique le Front de Gauche. Ainsi qu’on le laissait d’ailleurs entendre, ces présupposés ont ceci d’étonnant qu’ils sont communs19 aux deux partis extrémistes français, à ceci près que le Front de Gauche fonde sa respectabilité sur la diabolisation du Front National (de nos jours, il est paradoxalement plus louable d’être un extrémiste à gauche qu’un extrémiste à droite en raison d’une histoire pour le moins sélective, sinon amnésique). Reste qu’on peut répertorier quatre présupposés fondateurs de son approche, ou, pour le dire autrement, quatre actes de foi qui rendent opérant ce programme20.

1. Le monde meilleur ou l’arrière-monde.

Face à la souffrance humaine, aux crises, à cette absence de perspectives, le programme du Front de Gauche demande au citoyen d’adhérer à un premier présupposé discutable : celui d’un arrière monde meilleur que celui dans lequel nous vivons : « Derrière la crise du système capitaliste qui se déroule sous nos yeux, il y a la possibilité d’un monde meilleur » 21. Il inscrit d’ailleurs cette croyance au sein d’un processus de purge qu’il faudra opérer au sein de la société afin de retrouver « rapidement un avenir » 22. Cette purge est d’ailleurs souvent présentée sous couvert d’une métaphore quasi médicale : « Nous proposerons des mesures précises pour désintoxiquer les entreprises de la finance»23. Ce monde meilleur, en pleine santé, en pleine possession de ses moyens, se présente donc comme une solution face à la maladie qui ronge nos institutions : l’absence de partage des richesses : « En partageant les richesses et en garantissant le droit de chacun à une vie stable et digne, nous permettrons à tous de vivre mieux » 24. Dans un style plus politique, cette maladie est également appelée « dictature » 25, c’est-à- dire clairement un « contournement de la démocratie » 26. Cette solution s’incarne dans une grande ambition institutionnelle : « Il faut que soient élus des dirigeants qui ne dépendent d’aucune manière de l’oligarchie financière et que le peuple à la faveur d’une Sixième République, exerce le pouvoir pour de bon » 27. Par cette seule voie nous ouvrirons la voie à un arrière-monde en tout point paradisiaque, déshabillé des problèmes récurrents de ces dernières années : « créer des millions d’emplois [...] réduction du temps de travail [...] sécurisation de l’emploi [...] formation tout au long de la vie » 28. Et, au cas où cela ne suffit pas pour convaincre, il suffit de lire le programme pour comprendre à quel point le monde promis ressemble plus à un rêve qu’à une réalité. Ils en sont d’ailleurs très conscients puisqu’il invite le lecteur à ce premier acte de foi de manière explicite : « Oui

19 Nous n’occultons évidemment pas le fait que le Front National est un parti plus conservateur que le Front de Gauche chez qui la doctrine du « c’était mieux avant » est pour le moins absente.
20 La formule « Oui c’est possible » qui ouvre l’introduction du programme indique clairement cette dimension de « foi » ou de « croyance » inhérente à l’approche du Front de Gauche, et peut-être en réalité à toute approche politique.

21 Ibid.
22 Ibid.
23 Ibid., p.11. 24 Ibid., p.5. 25 Ibid., p.12. 26 Ibid.
27 Ibid., p.3. 28 Ibid., p.5

c’est possible [...] Nous devons la saisir [notre chance]. Elle est à notre portée » 29. 2. L’externalisation de la culpabilité.

Le second point discutable sur lequel le programme du Front de Gauche insiste c’est le fait que le peuple n’est pas coupable de ce qui lui arrive parce que les coupables sont les puissants qui ont conduit le monde à la dérive. Autrement dit, on demande ici un second acte de foi : l’externalisation de la culpabilité : « Tous ces maux trouvent leur commune origine dans la caractéristique essentielle de notre époque : la domination sans partage du capital financier sur le monde » 30. Face à la dictature, face au contournement de la démocratie, le peuple est opprimé, ne contrôle plus rien, et doit prendre conscience de l’origine commune des maux qui caractérisent son quotidien : il y a le peuple et ses représentants face à la finance et les puissants qui nous oppressent. Plutôt que de dire que ces puissants oppresseurs sont aussi ceux qui nous ont permis de vivre jusqu’à aujourd’hui par l’intermédiaire du crédit, on préfèrera insister sur la pression actuelle que ces préteurs mettent sur les États. Il y a deux raisons qui motivent ce tour de passe-passe. D’une part, ainsi qu’on l’a vu plus haut, le fait que l’argent français n’est pas assez bien réparti dans la population. D’autre part le fait que l’argent que l’on doit n’existe pas. Cette idée saugrenue, issue de la distinction entre « économie réelle » et « économie virtuelle », laissant entendre que le « virtuel » n’avait aucune réalité, vient de l’occultation du fait que le virtuel ait pu être aussi un moteur du réel. S’il est admis que les crises actuelles sont pour partie liées à des dérives de cette virtualité, c’est-à-dire au fait que le réel ait perdu tout contrôle sur cette virtualité, stigmatiser le virtuel pour au final le néantiser relève d’une sophistique bien rodée. Car la formule « l’argent virtuel » 31 dans le programme du Front de Gauche dit clairement que c’est parce que cet argent prêté n’est pas réel que l’on peut se moquer et occulter le fait que nous devons de l’argent aux détenteurs de la dette, de l’argent emprunté pour notre confort et notre niveau de vie. Par cette formule, le programme du Front de Gauche nie toute légitimité aux créanciers et les rend même coupables des maux que nous pouvons expérimenter au quotidien.

3. Un peuple « souverain » a tous les droits.

Ce que nous venons de dire nous permet de mettre en lumière un troisième présupposé : un peuple souverain a tous les droits. Car si le souverain32 peut occulter la situation précédente d’un pays au nom du fait qu’il engage une révolution citoyenne, alors c’est dire que le peuple a le pouvoir d’effacer purement et simplement l’histoire politique d’un pays : occulter le fait que le pays est endetté, c’est clairement engager le peuple à pratiquer la politique de la table rase. L’argument de la virtualité de l’argent joue ici à plein régime puisqu’il permet dire que rien n’est occulté puisque ne peut occulté que

29 Ibid., p.3
30 Ibid., p.3.
31 Ibid.
32 Nous utilisons ici le concept rousseauiste de Souverain, définit dans Du Contrat Social, Livre I, chap.7, p.58-60 & Livre II, chap.1, p.65-66 de l’édition Paris, GF 2001. Autrement dit, un être collectif formé par le peuple quoique non-incarné dans un homme, et porteur de ce que Rousseau appelle la Volonté Générale.

ce qui est réel. Ainsi est stigmatisé le « dogme de la réduction de la dépense publique » 33, alias pression des marchés financiers sur le peuple, et mis en avant une solution présentée comme de bon sens, logique, évidente : « Pour résoudre la crise, il faut reprendre le pouvoir », contre « le règne du profit », visant « l’intérêt général plutôt que l’avidité insatiable de quelques-uns » 34. De fait, au motif de la domination, le Front de Gauche se permet de proposer une situation en tout point opposée à celle qu’il décrit comme étant l’actuelle : non plus des dominés et des dominants, mais des dominés qui se mettent à dominer les anciens dominants pour leur faire la leçon et leur imposer des normes et des régulations. Reste qu’on pourrait dire que c’est blanc-bonnet et bonnet-blanc puisque le risque, c’est une nouvelle oligarchie. Ou, pour le dire autrement, ce présupposé s’appuie sur un sentiment de ras-le- bol qui pourrait se formuler ainsi : « moi aussi je veux croquer », ou « un peu à moi maintenant ».

4. Undéfaitismefondamentaletinfantile.

Le problème, c’est qu’à vouloir fonder une politique de vraie coopération (plus humaine) par ce biais, on prend le risque d’une forme de tyrannie. Car on oublierait bien vite que ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui35. Bien vite on aurait raison contre ceux qui ont tord : « N’avions-nous pas raison face à ceux qui prétendaient que le traité de Lisbonne allait accoucher d’une Europe qui protège, dotée d’un « leadership » enfin solide ? Chacun ne voit-il pas aujourd’hui que leurs promesses étaient mensongères ? » 36. Ceci nous permet de mettre en lumière le quatrième acte de foi que nécessite le programme du Front de Gauche : considérer que nous sommes à un moment de l’histoire où l’on est en droit de ne plus assumer le passé pour écrire une nouvelle page parce que l’on n’est plus en droit d’espérer du système en place : la seule solution c’est de le raser. Face aux manières actuelles, ce programme se permet de tirer un trait à l’encre rouge, celle du professeur, et de dire : s’en est assez. Ne se pose donc pas la question d’assumer la crise puisque le programme a clairement laissé entendre que nous n’en étions pas responsables. Face aux vendus de la finance, ce programme s’octroie le droit paradoxal d’un procédé rhétorique des plus étonnant : revendiquant le mandat de faire accéder la démocratie à l’âge adulte, il propose une solution des plus infantile : le nihilisme de l’enfant face à la faute qui lui incombe. Ce quatrième acte de foi se présente donc comme le refus d’assumer une situation, le refus d’avancer tête haute, par le biais d’un double mécanisme : d’une part une infantilisation de l’électeur (à l’instar de l’enfant qui refuse d’avouer sa faute et de l’assumer), et, d’autre part un défaitisme qui, sous couvert des maquillages de l’espoir, dit clairement la volonté de ne rien assumer, de tout occulter, de faire comme si de rien était.

33 Ibid., p.12.
34 Ibid., p.3.
35 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 Août 1789, art.4. 36 Humain d’abord, p.3.

Pour Jean-Luc Mélanchon, pour le Front de Gauche, « résister face à la crise » 37, c’est donc d’abord occulter la réalité d’une situation en proposant un rêve : celui de la page blanche. Une page sur laquelle on pourra écrire ce qu’on veut, sur laquelle on pourra rééquilibrer l’équation des rapports humains en veillant à ce que chacun vive au mieux. Sauf que ce rêve est utopique en ce qu’il repose sur deux paradoxes qui le rende peu réaliste : d’une part le fait que la page blanche requiert un retour à l’état de nature et, d’autre part le fait que le défaitisme qui conduit à espérer la page blanche est un défaitisme face à la nature humaine.

1. Un retour à l’état de nature.

Ce qui est frappant dans le programme de Jean-Luc Mélanchon, c’est l’absence de charge contre la propriété privée, pourtant fer-de-lance du marxisme dans la mesure où, dans la lignée de Rousseau, elle est considérée comme la mère de tous les maux : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eut point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne » 38. Si l’on n’est pas loin de la nationalisation des moyens de production – quoique n’y étant pas – cette charge habituelle des discours marxistes a disparue. Reste qu’on la voit revenir par un biais plus pernicieux. En effet, c’est par la nostalgie de la page blanche que le programme du Front de Gauche lui ouvre la petite porte. Car si l’on se rend nostalgique de cette page, alors on ne peut qu’envisager un retour au moment où elle était encore blanche. Sauf qu’on est là face à un vice de forme : la page fut blanche et ne l’est plus. Les hommes ont fait des choix et rien ni personne ne peut revenir dessus. On peut occulter, mais jamais on ne peut effacer. De même que le retour à l’état de nature est décrit comme étant impossible par Rousseau, de même, cette page blanche sera toujours tachée par l’histoire dont elle est l’héritière.

2. Undéfaitismefaceàlanaturehumaine.

À cacher son défaitisme face à la situation derrière le maquillage de l’espoir et de la pitié, le programme du Front de Gauche cache un défaitisme encore plus radical : un défaitisme vis-à-vis de la nature humaine. Car sous couvert d’un appel à la coopération et à l’entente de tous, il lance en réalité un appel à la lutte des opprimés contre les opprimants qui n’a d’autre but que de faire cesser des pratiques jugées comme peu respectueuses de l’humanité et de sa dignité. Sauf que ce programme offre également à lire la mise en place d’un État au combien restrictif visant, non seulement à museler les opprimant, mais également à restreindre et museler les futurs oppresseurs en puissance. Car c’est le programme du Front de Gauche est celui d’un père autoritaire – il aime ses enfants, mais les dirige de

37 Ibid.
38 Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’orgine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, GF 2008, p.109.

manière tyrannique – qui veut mener ses enfants à la maturité, ainsi que l’introduction l’indiquait : « démocratie adulte » 39. Si l’on devait décrire la tendance la plus naturelle de l’humain du XXIème siècle pour le Front de Gauche, on ne le ferait pas mieux qu’avec ses propres mots : un aliéné consumériste40. Où sont donc l’espoir et la conception positive de la nature humaine ? On se le demande...

Ainsi, le programme du Front de Gauche laisse apparaître, au stade des présupposés, au moins deux tendances que l’on peut considérer comme radicalement dangereuses, qui concourent chacune à encourager l’électeur à ne plus se poser de questions et à se faire servir sur un plateau un ensemble de mesures dont on verra plus loin le surréalisme : une pathique41 du discours et la négation du pluralisme. Si l’on ne s’étend pas sur la première tendance compte tenu de ce qui vient déjà d’être dit – notamment les quatre actes de foi – on peut toutefois conclure ce second point en justifiant la seconde tendance.

Ce qui caractérise l’éducation d’un enfant c’est qu’il est impossible de la réduire en un discours théorique unique, mais qu’on a toujours cette tendance à vouloir en faire un discours unique. On n’envisage jamais que plusieurs discours puissent correspondre à une même éducation. C’est ce qu’on dit par exemple lorsque l’on insiste sur le fait qu’il faut que le père et la mère se soutiennent (qu’ils s’accordent sur les directives générales de l’éducation). Or c’est précisément dans le cadre d’un discours a tendance éducative que le programme du Front de Gauche réalise sa programmatique politique. Ainsi, l’infantilisation latente de l’électeur à laquelle il préside n’est pas tant l’infantilisation de son électorat – qu’il appelle à la prise de conscience – que le fait de forcer son électeur à considérer les non-électeurs, les libéraux, les dévots de la finance comme des grands enfants à qui il va falloir donner une leçon. Cela explique la description du quidam comme aliéné consumériste. Or cette tendance éducative ne peut avoir, à l’égard du pluralisme, qu’un résultat : loin de l’autoriser, elle entend encadrer les discours pour que les débats se réalisent dans un cadre prédéfini. Ainsi se voit nié tout discours radicalement opposé. Curieuse révolution citoyenne...

III. Pour une prise de conscience citoyenne

Nous conclurons cette taxinomie du programme du Front de Gauche en cherchant à nous élever un peu de la lettre du texte pour prendre le recul nécessaire à un jugement efficace. Or comme tout jugement impose des présupposés, commençons par clarifier quels sont les nôtres. Loin de nous l’idée de désigner un ennemi, de décrire un état d’oppression. Comme en toute chose il nous semble important de ne pas minorer la complexité du réel. Et si le Front de Gauche fait le choix idéologique de

39 L’humain d’abord, p.4.
40 Ibid., p.15.
41 Un discours « pathique » est un discours qui fait du « pathos », c’est-à-dire de l’émotion, son arme principale, au détriment de la raison.

privilégier une certaine partialité, nous préférons miser sur la nuance. Contrairement au Front de Gauche, nous essayerons donc d’être un peu adultes et de privilégier la tête haute au yeux fermés. Contrairement au Front de Gauche, il nous semble important de ne pas occulter une réalité de crise et des finances publiques désastreuses que ce dernier oublie volontairement : « La France est plus riche que jamais » 42. Ceci répond à notre sens à un impératif politique : la continuité institutionnelle. Il ne faut jamais oublier, ainsi que cela peut-être définit par Georges Burdeau, que « le pouvoir est institutionnalisé en ce sens qu’il est transféré de la personne des gouvernants qui n’en ont plus l’exercice, à l’État qui en devient désormais le seul propriétaire » 43. Autrement dit, la réalité du pouvoir c’est un mandat pour occuper une fonction, et non le plébiscite d’une personnalité au seul fait qu’il a des talents d’orateurs ou une image plus propice au jeu électoral. C’est par ce fait majeur de nos institutions que l’on se préserve de la tyrannie, et c’est donc par cet oubli majeur que l’on est en droit parfois de douter du caractère démocratique de nos modes électoraux. Or ce que propose le Front de Gauche, c’est, dès le départ, une rupture institutionnelle impliquant le choix d’un homme providentiel. Si l’on doit donc miser sur la continuité institutionnelle, nous croyons aux organes objectifs et indépendants d’évaluation de l’action de l’État, à l’instar de la Cour des comptes, dont les rapports annuels permettent d’évaluer la pertinence et la légitimité d’une politique – dans la mesure où il n’est pas de politique sans financement public. Enfin, dans la mesure où cette dimension financière est aujourd’hui mondialisée, nous pensons que la situation n’a strictement rien à voir avec celle prônée par le Front de Gauche – à savoir 1789 – dans la mesure où l’on ne peut plus prôner la révolution à l’échelle nationale : il n’y a de révolution possible qu’à l’échelle mondiale, sauf à conduire le pays dans l’ornière miséreuse des exclus. Ainsi, la lutte contre le capitalisme financier ne saurait se faire par une opposition frontale au système, mais plutôt par une volonté de modifier le système en profondeur et de l’intérieur. C’est, certes, une ambition moins excitante, moins pathiques, mais c’est, selon nous, la seule possible, la seule qui, quoiqu’en pensent « les frontistes », préserve tout autant l’intérêt général que la marche vers une société plus respectueuse de chacun. Nous proposerons donc dans cette dernière partie de la taxinomie qui nous occupe trois axes d’étude du programme: un axe financier, un axe lexical et un axe psychanalytique.

1. Desfinancessurréalistes

Le paradoxe du programme du Front de Gauche c’est que sous prétexte d’une richesse assurée du pays – « La France est plus riche que jamais » 44 – il propose un ensemble de mesures sans aucune cohérence avec les rapports officiels de la Cour des comptes. Si l’on occulte le fait qu’ils ne fournissent aucune hypothèse de croissance – même irréelle – et aucun chiffrage de leurs mesures, ils sont même dans une perspective où il faut clairement oublier que la dette publique existe : on doit en finir avec le

42 Ibid., p.5.
43 Georges Burdeau (1905-1988), L’état (1966), Paris, Seuil, « Point », p.31. 44 L’humain d’abord, p.5.

« dogme de la réduction de la dépense publique » 45. Sous prétexte de révolution, on l’a dit, tout peut être effacé, ceci au détriment même de ceux qui, jusqu’à présent, nous ont permis de financer notre confort – au premier rang duquel la sécurité sociale. C’est ainsi que faisant fi des 85% du PIB de dette publique il propose une augmentation du smic, une diminution du temps de travail à salaire égal, un départ à la retraite anticipé, un remboursement à 100% des dépenses de santé, une titularisation massive des 800 000 précaires de la fonction publique... Bref, un ensemble de mesure avec lesquelles on ne peut qu’être d’accord et applaudir dans le cas où le pays a les moyens de le financer, où la croissance est présente pour permettre ces modifications. À moins de s’endetter d’avantage, ce qui semble-t-il est déjà le cas puisqu’à moins d’un réveil politique nous serons à 100% de dette en 2015-2016, ce qui devrait entraîner une nette augmentation des taux d’intérêt, on ne voit pas comment ces promesses ne pourraient pas rester lettre morte. À découvrir le programme de Jean-Luc Mélanchon, tout n’est que promesses exaltantes tout autant que fumeuses, dont on peine à trouver ce qui permettrait de les financer. Si l’on occulte la somme des interdictions visant à encadrer l’être humain si tendancieusement égoïste, le programme regorge d’idées intéressantes non-financées et non-finançables à l’heure actuelle, preuve sans doute que l’idéologie de la révolution (avec les présupposés surprenants qu’on a détaillé ci- dessus) doit l’emporter sur la réalité du programme, l’utopique sur le réalisme.

2. Un discours alexical46

Une chose est frappante dans ce programme : on y propose un glossaire, mais jamais un terme n’est clairement défini lorsqu’il pourrait être sujet à ambiguïté : autrement dit, ce texte est sans lexique. Reste que nous entendons montrer qu’il est plus que cela : il utilise cette imprécision dans le but de convaincre. Nous le ferons à partir des deux termes les plus fréquemment utilisés : le verbe « libérer », et le nom « peuple ».

Le programme entend sans cesse nous montrer la nécessité de nous « libérer » des griffes d’une finance désormais personnifiée. Sans cesse montrée du doigt comme le grand méchant loup, le mal absolu, ce qu’il faut combattre, on s’étonnera de ce que la caractéristique principale de cette finance est d’être libérale. Ceci ne peut manquer de nous faire réfléchir à ce que le Front de Gauche entend donc par « libération ». Prenons deux exemples : le cas de la recherche pharmaceutique47, et le cas des finances publiques48. À y regarder de plus près, on constatera avec étonnement que la libération de la recherche pharmaceutique, tout comme la libération des finances publiques constitue systématiquement, non une libéralisation, mais une prise de contrôle restrictive. Il s’agira, dans un cas comme dans l’autre d’avoir le contrôle de ces entités. Est-ce à dire que les instituts pharmaceutiques privés deviendront publics ? Au nom de quelle légitimité l’État entrerait-il de force au capital de ces entreprises ? Est-ce à

45 Ibid., p.12.
46 Un discours alexical est un discours qui utilise l’imprécision lexicale comme moyen de persuasion. 47 Ibid., p.8.
48 Ibid., p.12.

dire également que nous ne contrôlons pas les finances publiques ? Et dans ce cas, comment libérer ces finances des marchés financiers autrement qu’en remboursant une dette devenue plus qu’inquiétante ? En chacun des cas, l’utilisation du terme « libérer » n’est pas anodine. En chacun des cas, elle adoucit l’oreille et donne l’impression d’un mieux alors que ce mieux semble contraire à toute logique. Sous prétexte de « libération » nous faudrait-il également ne plus penser ? De là à le penser, il n’y a qu’un pas.

Pour le nom de « peuple », utilisé pratiquement à chaque page du programme, on peut également remarquer – ainsi que souligné plus haut, qu’il ne s’agit jamais du peuple tel qu’on peut l’entendre traditionnellement. Jamais le peuple ne concerne l’ensemble des citoyens, toujours ce nom est l’outil d’une division entre deux classes : les opprimés et les opprimant, les possédés et les possédants. Mis en écho avec la libération prônée plus haut, le programme du Front de Gauche apparaît donc clairement non comme le programme du rassemblement, mais comme le programme d’une division, de la guerre d’une classe contre une autre, autrement dit : la lutte des classes. Si l’on ne peut nier une certaine réalité de ce phénomène – dont on rappellera qu’il est né chez des historiens libéraux49 avant d’être repris par Karl Marx et popularisé tel qu’on le connaît aujourd’hui – peut-on en faire un programme politique ? Pour ceux qui croient dans la politique de l’opposition, cela pourrait se comprendre – si tant est qu’elle s’exprime toujours dans le cadre de la lutte des classes, ce qui demande à être prouvé – mais à ceux qui pensent que la politique est d’abord affaire de conciliation, alors la réponse est « non ».

Ce parcours lexical nous permet de découvrir une chose surprenante : tantôt la lutte des classes est érigée en moteur du discours politique pour convaincre les opprimés de se révolter contre les opprimant, tantôt la politique telle qu’elle veut être pratiquée par le Front de Gauche semble dépasser cette question au profit d’une politique de la conciliation. De fait, se pose la question de la nécessité du bouleversement ? Doit-on en passer par la lutte pour s’entendre ? N’existe-t-il aucun homme politique au monde qui refuse tout dialogue50 ?

3. Une question de psychanalyse

Le dernier point que nous voulons aborder c’est la question psychanalytique. Loin de nous l’idée de retourner la conclusion du programme à propos de la folie du monde51. À bien des égards, il nous semble qu’elle peut-être partagée. À bien des égards également, le mal-être et les mécanismes de domination décrits par le programme du Front de Gauche peuvent être entendus et légitimés. Reste que la solution proposée par le Front de Gauche nous paraît par bien des aspects illusoires. En effet, il est très frappant de voir que ce programme – comme souvent les discours d’extrême gauche – oublie l’enseignement de Marx sur la religion : « La lutte contre la religion est donc médiatement la lutte contre

49 François Guizot, Augustin Thierry, Adolphe Thiers et François-Auguste Mignet.
50 Nous entendons par là non la simple exposition de discours se faisant face – une confrontation d’opinions – mais l’approche constructive d’une politique laissant entendre chacune des voix, au nom de l’intérêt général et non l’intérêt de quelques-uns – qu’ils soient puissants ou faibles.
51 Ibid., p.33.

ce monde dont la religion est l’arôme spirituel. La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature tourmentée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit de situations dépourvues d’esprit. Elle est l’opium du peuple».52. C’est frappant dans la mesure où les programmes d’extrême gauche se présentent comme un discours religieux auquel il faudrait adhérer par un acte de foi massif. En effet, si la religion a pu être à l’époque de Marx le discours qui permettait d’avaler la pilule de la dureté de la vie en fournissant l’espoir d’une vie meilleure, le programme du Front de Gauche présente tous les attributs d’un discours religieux53 : il s’appuie sur un sentiment de désaide humain, c’est-à-dire la solitude de la créature face à la dureté du monde ; il propose la figure tutélaire d’un nouveau messie ; enfin il promet l’avènement d’un avenir meilleur. Autrement dit, un psychanalyste ne serait pas loin de penser que le programme du Front de Gauche est celui d’enfants qui ne digèrent pas la dureté du monde et ne veulent pas grandir. Ils s’échinent à proposer un programme à irréaliste pour endormir un lectorat en mal d’espoir. Il n’est donc pas étonnant, encore une fois, que ce type de discours perse en des périodes où les difficultés du monde sont criantes. Mais, sous prétexte que c’est à gauche, personne ne dit rien, et tout le monde trouve ça normal.

IV. Conclusion : le vote « Bayrou ».

Qui aura lu les programmes du Front de Gauche et ceux du Modem ne manquera pas d’être frappé par des convergences idéologiques : « Notre société a subi des mutations profondes qui ne sont pas toutes des progrès. Chacun le voit bien ; le profit n’est pas équitablement partagé. La grande entreprise apparaît trop souvent comme la propriété de ses seuls actionnaires, et la place des salariés n’est pas reconnue comme elle devrait l’être »54 ; « C’est à cela que doit servir l’élection présidentielle : indiquer le chemin qui permettra à tous de retrouver l’espoir et la dignité, autour de valeurs qui cimentent notre unité nationale » 55. Reste que ce programme appelle à la lucidité : « La première condition est de comprendre avec lucidité que la crise ne vient pas d’ailleurs. Elle vient de chez nous, de mauvaises décisions accumulées au travers du temps, de facilités trop longtemps consenties, de démagogies multipliées. Ce n’est ni la faute de la mondialisation, ni la faute de la finance internationale, ni la faute de l’Europe, ni la faute de l’euro » 56. Ainsi, contre un vote de division, nous prônons pour conclure le vrai vote de l’unité nationale. Contre le vote de la lutte illusoire, nous prônons ici le vote des yeux ouverts. Car, ainsi que le souhaite le Front de Gauche, nous pensons aussi qu’il « faut rompre avec les politiques suivies par les gouvernements au pouvoir ces dernières années » 57 en proposant à la fonction

52 Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel (1844). Paris, Aubier 1971, p.51-52. 53 Nous nous appuyons ici sur Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion (1927).
54 La France solidaire, p.2.
55 Ibid.

56 Ibid., p.3.
57 L’humain d’abord, p.3

présidentielle un homme du centre et non l’éternelle guerre de la droite et de la gauche opposée, comme s’il n’y avait que deux réponses possibles à une même question. De même, notre « point d’appui » 58 ne sera pas différent que celui prôné par Mélanchon : « l’humain » 59.

 

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