Beugler la Marseillaise ?

  Je voudrais dénoncer la régression, qu’on veut nous présenter comme une avancée, d’exiger que nos écoliers entonnent la Marseillaise au moins une fois par an.

Allons d’abord faire un petit tour dans les programmes scolaires, je cite ceux de 2007, les derniers, reçus en héritage de Xavier Darcos, concernant le cycle 3 (CE2-CM1-CM2) : « Avoir compris et retenu la signification des principaux symboles de la République ».


On parle bien ici de sens. Il s’agit de mener les élèves à s’approprier ces symboles de la République, c’est bien plus exigeant que de simplement beugler notre hymne national sur les stades.

Je vous raconte maintenant comment j’essaie de produire du sens avec mes élèves de CM2 certaines années ; habituellement c’est l’année où on aborde la Révolution  Française. J’aime les confronter à un extrait d’une pièce d’Ariane Mnouchkine, « 1789 », un garde-champêtre annonce la rédaction des cahiers de doléances, trois personnes du peuple cherchent de quoi écrire pour dénoncer la gabelle, ils sacrifient un drap car ils n’ont pas de papier, ils courent après une poule pour obtenir une plume, ils font couler leur sang pour avoir de l’encre, tout ça pour rien, car aucun d’eux ne sait écrire ne serait-ce que le « g » (le gueux…) de gabelle. C’est cruel, mais combien révélateur des défis de toute démocratie. Et on vit un beau moment d’école quand on voit les élèves se passionner pour cet instant de théâtre qui les prend aux tripes.

 

J’ai aussi dans mes cartons un film « la Révolution française » de Robert Enrico, je l’avais enregistré en 1989 quand nous avons célébré le bicentenaire de la Révolution, ce fut paraît-il un échec commercial, mais je le trouve très utile pour donner de la chair aux événements et aux personnages de cette époque fondatrice pour notre pays. Ce film est en quelque sorte la récompense du travail de réflexion mené avec les élèves sur des documents que je m’efforce de mettre en perspective. Il m’aide à donner du souffle, à les rendre partie prenante de notre histoire. Seule la première partie, intitulée « les années lumières » est accessible à de grands écoliers. On y retrouve les événements-clés : la convocation des Etats généraux, la rédaction des cahiers de doléances, les élections des représentants des trois ordres, le conflit avec le roi pour obtenir le vote par tête au lieu du vote par ordre, le serment du jeu de paume, la prise de la Bastille, la marche des femmes sur Versailles pour demander du pain, l’apparition de la cocarde tricolore…et à la fin de cette première partie, la patrie en danger en 1792, avec les volontaires  venant de toutes les provinces et reprenant à l’unisson le chant de guerre pour l’armée du Rhin qui deviendra la Marseillaise. Et là, mes jeunes élèves joignent spontanément leurs voix à celles des personnages et demandent ensuite : « Vous nous l’apprendrez, maîtresse, la Marseillaise ! ». Et il y a de la fierté dans leurs voix.

 


Vous comprenez bien que pour tenter de donner du sens aux symboles de notre République, il faut du temps. Et le temps, nous en avons de moins en moins dans les écoles de la République. Transmettre l’héritage des valeurs qui nous constituent, c’est un travail de patience, de conviction et qui nous demandent à nous, adultes, d’incarner ces valeurs, d’être en cohérence avec elles. Les enfants discernent immédiatement les failles, les mensonges. Ils protestent quand on leur cite notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. « Mais maîtresse, c’est  pas vrai, on n’est pas tous égaux ». A cet âge-là, ils sont très sensibles aux injustices…plus tard, on s’habitue, on courbe l’échine, on se résigne ou on se cache derrière le bouclier fiscal.

Se contenter de chanter servilement la Marseillaise une fois par an pour faire plaisir à ceux qui nous gouvernent, c’est bafouer notre République. Ce n’est pas un chant d’esclaves, c’est un chant de guerriers. Nous n’avons plus à nous battre contre les armées des monarques voisins, nous devons mener combat contre la rapacité des financiers, contre le gaspillage des ressources de notre planète, contre les injustices, contre le règne des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.

Nous devons nous battre pour notre idéal toujours à atteindre : liberté, égalité, fraternité.

 

Agnès MIGAUD

Enseignante

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